Lutxo… la genèse d’une œuvre
Né en 1957 à Limoges, Jean-Luc Pailler dit Lutxo a pratiqué le dessin dès son plus jeune âge, on le disait doué… A 11 ans, il s’essayait -excusez du peu- à « La victoire de Samothrace », « la statue de la Liberté », aimant travailler les plissés, les ombres et la lumière. Evoluant dans un univers familial artiste, sa mère était enlumineuse pour une usine de porcelaine , et l’a toujours encouragé dans sa passion du dessin… Lutxo a encore aujourd’hui le souvenir des odeurs de térébenthine qu’elle laissait dans son sillage pour autant, sa mère ne lui a jamais enseigné l’art de peindre… l’on sent ici poindre un regret… mais auquel il a su remédier…
Lutxo est de ces artistes autodidactes profondément investis qui n’ont de cesse d’apprendre de leurs aînés, de s’initier à leur art avec passion, faisant preuve souvent d’excellence à force de travail et d’envie… Car il s’agit bien de cela : d’envie, d’être en vie et d’en témoigner avec la conviction qui les anime et se répercute jusque dans leurs œuvres.
Lutxo est venu à la peinture sur le tard, histoire de vie, de rencontres, de désir et d’appartenance aussi…
L’existence est ainsi faite qu’il faut parfois du temps pour se (re)connaître… Lutxo évoque des « activités professionnelles » qui l’ont fait voyager à travers la France avant de s’installer sur la côte landaise, basco landaise plus précisément et « des circonstances de vie » qui l’ont amené à ne découvrir la peinture qu’en 2011. L’attrait des pinceaux a été immédiat et en l’espace de quatre années, Lutxo a su maîtriser les codes picturaux pour débuter une œuvre digne d’intérêt, pour s’en convaincre suffit de regarder des peintures telles que « La matrice », « Petit matin blafard », « La sterne pêcheuse », « Tube », « Fortune de mer », « Le pic de la dent de requin »… nous pourrions ici tous les citer sans exception…
Soulignons que Lutxo a par des biais aussi variés et inattendus que la pêche appris patience, minutie, sens du détail en s’adonnant à la fabrication de ses propres mouches, un exercice qui demande une connaissance approfondie de l’eau et du milieu aquatique… ceci expliquant peut-être l’omniprésence de cet élément dans son œuvre…
Son amour de l’eau l’a mené jusqu’à… Capbreton… et l’élaboration de plans, dessins et maquettes pour un projet de maison qui est devenue réalité en 2004…
Le parcours de vie de Lutxo l’a guidé du dessin à la peinture par des chemins détournés mais heureux…
On ne peut nier qu’il y avait là quelque chose de destinal…
Nous sommes donc en présence d’un authentique créateur conscient que pour rendre compte au plus près de sa vision du monde, l’homme ne doit avoir de cesse de remettre cent fois sur le métier l’ouvrage. Ainsi Lutxo n’a pas manqué de s’intéresser aux vidéos et autres démonstrations sur internet de Alan Kingwell et de Igor Sakharov, y puisant matière à toujours mieux appréhender son médium, aborder son sujet, ne manquant pas de suivre les conseils de son compatriote le peintre copiste landais Jo Caputo…
Lutxo aidé par un fort esprit de synthèse a pu très vite se démarquer des artistes amateurs débutants en trouvant un style propre où un choix thématique à résonance élémentale, une palette lumineuse et fluide, un goût prononcé pour le jeu des transparences et une technique avérée ont contribué à faire de lui un peintre à part entière…
La nature, comme matrice nourricière et source inspiratrice, structure l’œuvre de Lutxo et lui donne tout son sens. L’élément eau est rémanent, l’artiste dit de lui qu’il « est son sujet de prédilection et lui permet d’animer la toile et de créer l’atmosphère ». Nous pourrions aller jusqu’à dire qu’il signifie son propos de peintre et l’authentifie tel le sceau officiel. C’est la signature d’un artiste en lien avec son environnement, pour mémoire la côte basco landaise, qui a trouvé dans les paysages maritimes un écho à son être profond…
Quel plus bel hymne à l’existant que ces toiles empreintes d’une poésie « vraie », délivrée des artifices urbains, encline à balayer au rythme des vagues la bêtise humaine et à réinventer sans cesse demain ?!…
Imaginaire et réel s’épousent ici dans une parfaite harmonie pour une représentation sensible du monde… Le peintre, entre accalmie et tempête, espoir et désenchantement, déambule au cœur d’une humanité revisitée…
Lutxo travaille l’huile, un médium exigeant, au couteau et pinceaux.
A l’occasion, il utilise la résine pour créer des effets, entre autres lorsqu’il s’agit de rendre l’aspect limpide et étincelant de l’eau. Il aime à modeler les flux et reflux, à traduire l’érosion minérale, à saisir le vol d’un oiseau de mer, à façonner la luxuriance d’une végétation jusqu’à la rendre plus vraie que nature. Sa peinture est une manière de cartographier le monde pour nous le rendre plus intelligible et donc plus proche…
Les personnages sont peu présents dans l’œuvre de Lutxo. Ils relèvent de l’anecdotique, une forme de vie parmi d’autres, impermanente et fragile, ponctuelle… Je pense ici à « L’enfant au ballon », « Sortie de bain » et autre « Enfant au cerf-volant »… Enfance et féminité qui évoquent avec subtilité comme une re-naissance en terre picturale… Immanquablement, Lutxo exprime un sentiment fort d’universalité mêlé à une vision intimiste de l’être… Un credo à dimension humaine qui ne peut qu’interpeller et émouvoir le regardant…
L’espace de la toile est le terrain de jeu du peintre, là où il peut laisser sa créativité éclater en une myriade de couleurs, de courbes, de tracés, là où il peut mettre en scène la vie dans tous ses états, la composer et la recomposer dans toute sa singularité, sa quotidienneté, sa beauté… Et il y excelle !
Parce que Lutxo est un artiste qui va au bout des choses, ses peintures sont pour la plupart accompagnées d’un texte, prose ou poème, comme une légende personnelle de l’acte créateur…
Aujourd’hui, en 2015, Lutxo doit affirmer sa démarche picturale pour que le public puisse également la considérer comme représentative d’une certaine esthétique contemporaine et s’y identifier… Le caractère original et cosmogonique de sa peinture lui offre la possibilité d’innover, de surprendre tout en enchantant le spectateur… Ne doutons pas qu’il sache franchir ce nouveau cap !…
Nathalie Lescop-Boeswillwald
Docteur en histoire de l’art, critique,
Directrice de « pARTage »